Élections présidentielles et après? Xavier Bunel, personnel de direction dans l'académie de Bordeaux témoigne.
Chères collègues, chers collègues,
Il m’arrive d’avoir des doutes sur l’étymologie du mot proviseur: celui qui voit devant ou celui qui dirige un hospice?
Difficile de savoir si ç’est la Covid ou la situation politique qui me tiennent aujourd’hui isolé avec quelques maux de tête dans mon appartement de fonction. Le printemps s’est installé en Gironde, les masques sont tombés et les enfants qui peuvent enfin jouer dans la cour bercent tranquillement mes activités en distanciel du jour: modifications d’emploi du temps, remontées Cyclades, procédures Affelnet, rapport sur le compte financier…
La guerre gronde, la mer monte et le temps se réchauffe, les replis identitaires s’expriment mais tout va bien!… Relativement autruche, j’assure tranquillement la continuité du service public d’éducation dans un collège de Gironde. Pour les quinze prochains jours, je n’ai pas trop de doutes sur la conduite à tenir, ni sur ce que je dois faire dimanche 24 avril, dans l’après-midi, lorsque je serai dans la salle de restauration de la petite école maternelle du quartier.
… et puis bientôt, nous serons le 25 avril. Ce sera les vacances pour notre zone et le virus qui grattouille la gorge en permanence ne sera vraisemblablement qu’un lointain souvenir.
Pourtant, je suis à peu près sûr que ça continuera à me grattouiller. Et cela oscillera entre l’insupportable et la légère gène, selon les résultats de la veille.
Représenter l’État
Nos organisations syndicales, associatives ou amicales ont peu discuté cette hypothèse qui devient désormais plausible d’une victoire du rassemblement national. La CFDT s’est largement exprimée sur le fait qu’on ne discute pas avec l’extrême droite mais qu’on la combat. Reste que même si on apprendra beaucoup (cf. Mandela), on peut perdre, et que si elle s’empare du pouvoir, que fait-on? S’empare-t-elle de l’Etat également? En tout cas, le gouvernement qui se formerait de cette malheureuse victoire disposerait de l’administration… c’est un principe constitutionnel…
Mon travail actuel, pour lequel je suis logé et assez bien rémunéré, est de représenter l’État (article L421-3 du Code de l’éducation). C’est d’ailleurs lui qui me nomme dans mes fonctions. Je serais donc le 25 avril à la disposition d’un gouvernement, afin de lui permettre de mener la politique pour laquelle il a été élu.
Si on s’en tient aux aspects réglementaires définis plus loin dans ce même code cité, ça n’implique en rien allégeance au pouvoir en place; il n’y aurait pas de quoi s’inquiéter outre mesure.
Pourtant, il est peu probable que ce gouvernement hypothétique d’extrême droite n’ait pas la volonté d’agir en donnant ses ordres à toute notre administration et particulièrement son encadrement intermédiaire: services centraux, corps d’inspection, rectorats, DSDEN, chefs d’établissement; nous quoi! Et il serait illusoire de parier sur l’absence de majorité aux législatives suivantes pour croire que ce nouveau gouvernement accepterait de se débarrasser du pouvoir récemment conquis. Référendum, modifications constitutionnelles seront de toute façon largement utilisés, c’est déjà écrit dans les programmes.
En ce qui nous concerne, on peut retenir alors plusieurs stratégies:
– Soit ce gouvernement prend des décisions contre la constitution et les lois organiques existantes. Il serait alors possible de se battre sur le terrain du droit…si les contentieux administratifs, le conseil d’État et autre conseil constitutionnel continuent de fonctionner normalement. Un combat politique et/ou syndical clair, dur… mais peu probable pourrait s’engager. S’il a lieu, est-on prêt à le mener?
– Soit il infléchit l’action publique car il arrive à placer dans notre administration de nombreux personnels carriéristes ou en accord avec sa politique. Les rapports de force lui deviennent favorables et aucune action collective ne s’y oppose. Le cadre réglementaire de notre administration pourrait se désagréger tranquillement dans la forme, dans les moyens attribués puis dans le fond, selon la durée où ce gouvernement resterait au pouvoir. Est-ce qu’en face, des collectifs peuvent s’opposer avec des visions claires de ce qu’ils veulent, de leurs valeurs et des conséquences concrètes que cela implique? Négocier, s’opposer, bloquer… On le fait comment? avec qui? Mènera-ton ce combat localement, en Blanchet, s’ils existent toujours? Au ministère, sous quelle forme?
– Soit il ne peut pas agir car il se trouve confronté à des résistances passives ou collectives. Il fait beaucoup de bruit pendant cinq ans, on serre les dents, on fait blocage contre l’irrecevable et on continue à assurer la continuité du service public telle que sa réglementation le prévoit, dans «l’esprit des lois» actuel.
Bref, très concrètement et à titre personnel, je ne suis pas prêt à représenter l’État quel qu’il soit. Mais où est-on le plus efficace pour s’opposer et résister? Avec qui? Faut-il abandonner le navire? Est-il efficace de se compromettre si c’est pour mieux organiser la résistance de l’intérieur? Quelle que soit ma réponse, isolée, elle n’a aucun intérêt si elle n’est pas partagée et si elle ne mène pas à des formes d’actions collectives et coordonnées, secrètes ou publiques. Je crois que j’ai besoin de ce débat qui n’a pas eu lieu, ou alors, par inconscience, je n’y ai pas participé.
L’autonomie du chef d’établissement n’existe pas
Cette alternative malheureuse ne me fait pas oublier les impasses des débats sur l’organisation et le fonctionnement des établissements scolaires qui sévissent depuis cinq ans et dont le renouvellement est déjà prévu pour la prochaine mandature: l’autonomie des établissements.
D’un côté, nous avons l’objectif 6 du programme d’Emmanuel Macron sur l’éducation: Renforcer l’autonomie des établissements. De l’autre, le syndicat majoritaire des enseignants ne cesse de s’opposer à toute forme d’autonomie donnée au chef d’établissement et réclame «un cadre national fort». Il y a des différences de fond entre eux sur les objectifs, les moyens à allouer à l’école, mais il ne faut pas se tromper: sur l’organisation, les procédures de décision et les modes d’exercice du pouvoir, ils sont d’accord. Un État fort d’abord.
Pour situer ce débat, il est intéressant notre Code de l’éducation, particulièrement ses articles R421-2,3,8,9,10. C’est pourtant clair: l’autonomie du chef d’établissement n’existe pas!
La seule autonomie qui existe, c’est celle de l’établissement. Elle s’exprime à travers le vote de ses administrateurs dans le cadre de compétences bien définies… et si on y regarde de près, elles sont assez étendues. Le problème, c’est que les probables vainqueurs des prochaines élections, politiques et professionnelles, théoriquement opposés, n’aiment pas du tout cette autonomie là. Tout doit se décider rue de Grenelle et relayé selon la rhétorique d’un bord par l’autonomie du chef d’établissement (qui applique!) ou tout doit être décidé rue de Grenelle et selon la rhétorique de l’autre bord, cogéré ou contesté en invoquant la lutte contre le libéralisme et l’autonomie du chef d’établissement (qui est aux ordres).
assemblée générale des Sgen-CFDT à Dijon en février dernier: les notes de service de 2018 signés directement par le ministre (même le DGESCO n’a plus le droit au chapitre) sur la façon dont les enseignants doivent circuler dans la classe en mathématiques, les consignes données sur la façon dont doivent s’organiser les révisions avant les épreuves de spécialité. Mais que dire également sur la pression qui est mise sur les recteurs, IA-IPR, chefs à propos du dispositif «devoirs faits» pour lequel je peine à repérer le cadre réglementaire et sa présentation claire dans la loi de finance soumise au parlement. D’un autre côté, combien de présidents de CA sont invectivés par leurs propres administrateurs?
est revenue sur quelques exemples éloquents lors de l’L’alternative est simple, soit il y a de vrais administrateurs dans les EPLE, qui peuvent débattre, ne pas être d’accord, puis finissent par décider, mais sont acteurs de l’autonomie de l’établissement, soit on est contre l’autonomie des EPLE. Un débat biaisé, mal posé, fait que c’est malheureusement cette dernière version qui devient dominante. Je ne suis pas dupe des enjeux: la liberté des enseignants tenus uniquement par des programmes et des horaires nationaux pour les uns…et leur rémunération à l’heure de cours pour les autres, sans conception éducative globale du métier, donnant facilement des marges manœuvre lorsqu’il s’agit de réduire les enveloppes budgétaires ou de recruter des contractuels.
ll est vrai que la décision collective dans un EPLE, pour un projet éducatif contextualisé, avec des intérêts qui peuvent diverger, ça prend parfois du temps. Il faut discuter, négocier, envisager les priorités dans l’utilisation des ressources, faire des choix, évaluer et réorienter les décisions… Bref vivre en démocratie, à une toute petite échelle, 500 à 3000 personnes à peine si on compte les parents. Et en plus, on y associe des élèves: une vraie expérience possible de la décision pour eux, pourvu qu’on les y autorise, vraiment.
Les bouches sont pleines des mots «liberté» et «autonomie», mais là où elle existe, là où elle est instituée et réglementaire, les majorités élues, politiques et professionnelles, n’y sont pas favorables. Le problème n’est pas sur le fond. On pourrait trouver intéressantes les réflexions menées ces dernières années sur le PPCR, le bac, la continuité pédagogique… et même «devoirs faits». Le problème est sur la forme, sur des modalités démocratiques de fonctionnement, au niveau d’un établissement public, d’un rectorat, d’un ministère. Mais aussi sur les modalités pour contester: bloquer et s’interdire (ou plutôt interdire) toute prise en charge locale et collective des marges d’autonomie.
Au quotidien, je n’ai aucun problème à être «Créon», à prendre des décisions pour préserver la règle et les intérêts du groupe. C’est le culte du chef qui n’est pas acceptable, et hypocrisie suprême lorsqu’il est associé au mot «autonomie». Nous avons bien deux adversaires sur ce sujet: les modes de gouvernement et de prise de décision de ces cinq dernières années d’une part (pour ne nommer personne), les postures syndicales et contestataires majoritaires. Dans tous les cas, il s’agit bien d’une vraie régression paternaliste. Et nous avons bien des victimes, les usagers, les communautés éducatives et leur foi en la démocratie. C’est une vraie régression paternaliste.
La décentralisation est en pleine crise de la quarantaine.
… mais bon, je vais bien réussir à guérir de la covid, notre École et nos établissements vont peut-être murir et dépasser leurs contradictions.
Bon week-end à tous!