Et si on parlait évaluation avec Charivari ?

L'évaluation est perçue dans les écoles comme nécessaire car venant sanctionner une période d'apprentissage. pour Delphine Guichard alias Charivari, c'est au contraire un moyen pour l'élève de valoriser ses progrès. Pour cela, elle a accepté de nous parler de sa vision de l'évaluation.

Beaucoup de collègues connaissent le blog de Charivari, de son vrai nom « Charivari ». C’est une vrai mine de ressources pédagogiques pour les professeurs des écoles. Directrice, enseignante, elle a accepté de répondre aux questions du Sgen-CFDT autour de l’évaluation, des évaluations.

Comment pratiquez vous l’évaluation au sein de votre école ?

Dans notre école de cycle 3, nous évaluons nos élèves grâce au dispositif de ceintures de compétences de Fernand Oury. Contemporain de Célestin Freinet, Oury était judoka et pédagogue. Dans sa classe, les élèves progressaient en maths, en grammaire (…) en suivant des ceintures de couleurs, comme au judo. Tel élève était ‘ceinture verte’ de géométrie, tel autre ‘ceinture bleue’ en conjugaison.

Dans notre école, nous avons adopté ce principe pour une quinzaine de domaines : les tables de multiplication, le calcul posé, la conjugaison, la grammaire, les repères en géographie ou en histoire…

Quelles finalités voyez vous pour l’évaluation ? Pour les élèves, les enseignants, les familles ?

C’est LA bonne question, en effet : quelles finalités voyons-nous pour l’évaluation ? Depuis que j’enseigne, il y a un « modèle » que je veux éviter : celui de l’évaluation en fin de chapitre, qui clôt une séquence sur laquelle on ne reviendra plus. Ce dispositif, ultra courant, me semble vraiment contre productif. On se retrouve avec des élèves qui apprennent plus ou moins leurs leçons pour l’évaluation, qui oublient presque aussitôt et qui, en fin d’année, ne se souviennent plus de grand chose. Aucun pédagogue ne peut se satisfaire de cela.

Au contraire, je tiens beaucoup à ce que l’évaluation soit au service des apprentissages, au service de la mémorisation, au service de la motivation.

Pourquoi des ceintures de couleurs ?

évaluation des enseignants

Ce système de ceintures de couleur me convient bien mieux car :

  • il est très clair.
    L’élève et ses parents savent exactement ce qu’il faut savoir et savoir-faire pour obtenir chaque couleur de ceinture. Les attentes de l’enseignant sont très explicites. Un élève sait exactement ce qu’il doit travailler pour progresser sur telle ou telle compétence.

 

  • il soutient vraiment la mémorisation à long terme.
    Chaque ceinture revalide les précédentes. Par exemple, quand on passe une ceinture de géographie sur les villes de France, la moitié des questions portent sur ces villes, mais l’autre moitié porte systématiquement sur un échantillon de tous les repères que l’on a déjà validés dans les couleurs précédentes (les fleuves, les montagnes, les océans…). Ainsi, avant un test, les élèves revoient forcément non seulement la leçon en cours, mais toutes les leçons anciennes, plusieurs fois par an. A chaque fois, ils doivent prouver qu’il ne les ont pas oubliées.

 

  • il est très exigeant.
    Pour valider une ceinture, il faut atteindre 80% de réussite (un équivalent de 16/20). C’est une sacré révolution pour certains élèves. On ne peut plus se contenter d’une leçon à peu près sue.

 

  • les échecs sont effacés par les réussites.
    Quand on apprend à faire du vélo, qui comptabilise le nombre de fois où on s’est écorché les genoux avant d’y arriver ? Avec le système des ceintures, l’élève a le droit de ne pas réussir du premier coup. Il ne reste pas sur un échec : il repasse la ceinture jusqu’à la réussite et, le jour où il réussit, les échecs précédents ne comptent plus. Les erreurs, les échecs, servent à pointer les obstacles à franchir. Ils sont utiles, ils servent de marchepieds vers la réussite.

  • il permet une vraie différenciation.
    Avec les ceintures, les élèves ne sont plus évalués au même moment sur la même chose. Chaque élève prépare une évaluation qui correspond à son propre niveau. L’élève se sent bien plus capable de réussir puisqu’on lui propose des évaluations à sa portée. Cela tord le cou à la spirale de l’échec. Les élèves vont forcément de succès en succès. Ils prennent le contrôle de leur progression. C’est eux qui décident de passer tel ou tel test quand ils se sentent prêts.

Quelle influence a l’évaluation dans le travail autour du parcours de l’élève ?

Avec les ceintures, on ne peut pas accumuler les mauvaises notes, ou même des notes toujours moyennes. On essaye, on réessaye, on progresse d’une fois sur l’autre, et un jour on réussit.
On travaille pour réussir.
L’évaluation devient l’occasion de rendre les progrès effectués visibles.
Dans ce dispositif, tous les élèves de nos classes, même les plus faibles, reçoivent de temps en temps des évaluations marquées d’un « Excellent travail, bravo ! ».
Bien sûr, ils ont parfois 3 étapes « de retard » par rapport à la majorité de la classe, mais, au moment où ils ont réussi le test, le progrès qu’ils ont fait a été le même que celui réalisé par leurs camarades deux mois plus tôt.
Ce progrès est valorisé de la même manière, qu’il ait été fait en septembre ou en avril. La marche franchie est aussi haute. Ils ont juste mis plus de temps à la franchir.

En quoi cela change la relation des élèves à l’évaluation ?

Il faut bien comprendre que la relation entre nos élèves et leur apprentissage est très différente de celles des classes qui pratiquent une évaluation plus classique.
Pour progresser, dans mon école, nos élèves doivent décider de s’inscrire aux évaluations. C’est bien à eux de décider d’avancer, de « se mobiliser ».
Avec les ceintures, nos élèves vivent l’évaluation comme un défi qu’il choisissent de se lancer. Bien sûr, ne nous leurrons pas, lorsqu’ils font ce pas en avant, les élèves sont un peu « poussés dans le dos » par la pression de la classe, du maître et de leurs parents, mais tout de même, ils savent que la décision leur revient et qu’ils peuvent, au moins pour un temps, dire « je ne suis pas encore prêt ».
Nos journées de classe sont pleines de temps d’ateliers autonomes, différenciés, pendant lesquels les élèves travaillent et s’entraident avec des supports auto-correctifs, pour s’entraîner. Quand l’élève a terminé son travail de grammaire ou de sciences, il peut choisir de se préparer au test suivant avec un tuteur ou simplement avec ses supports d’entrainement.

Et pour les enseignants ?

Pour nous aussi, enseignants, le dispositif est encourageant parce qu’il rend visible les progrès de tous les élèves, y compris des plus faibles. Avec les évaluations classiques, on évalue parfois des élèves sur des compétences qui sont toujours au-delà de leurs possibilités. Certains semblent ne jamais décoller. Chez nous, les progrès sont plus visibles. Visibles pour l’élève bien sûr, mais pour l’enseignant aussi.