Méconnu et mal reconnu, le métier d'enseignant coordonnateur ULIS est pourtant essentiel à l'inclusion des élèves en situation de handicap. Evelyne Clavier nous parle de son quotidien au sein de son établissement parisien.
Professeure certifiée de lettres modernes, Evelyne Clavier a choisi de passer le 2-CASH afin de devenir enseignante coordonnatrice d’une unité localisée pour l’inclusion scolaire (ULIS). Aujourd’hui titulaire du CAPPEI (Certificat d’aptitude professionnelle aux pratiques de l’éducation inclusive), elle travaille au sein d’un dispositif ULIS TFC (Trouble de fonctions cognitives) au collège Charlemagne à Paris. Celui-ci regroupe 11 élèves de la 6ème à la 3ème, une AESHco (Accompagnante d’élèves en situation de handicap en fonction collective) et un AESH Mutualisé. Elle a accepté de nous parler de son métier issu de la loi du 11 février 2005, un métier peu connu et mal reconnu.
Comment se passe l’inclusion des élèves au sein de ton collège ?
Tous les élèves du dispositif ULIS sont inscrits dans une classe. Ils font ainsi des va-et-vient entre leur classe de référence et le dispositif ULIS. De mon coté, je jongle entre l’accessibilisation des enseignements dispensés par mes collègues et les enseignements à réaliser pour les élèves qui ne vont pas en inclusion dans certaines matières.
Je dois donc être compétente dans d’autres disciplines que celle de mon CAPES et de mes études universitaires et montrer ainsi une certaine polyvalence, comme les professeurs des écoles. A temps partiel du fait d’une décharge syndicale pour le Sgen-CFDT Paris, je prends en charge le français, l’histoire géographie, l’EMC, les langues vivantes, les arts plastiques, l’éducation musicale et l’EPS. Ma collègue, contractuelle titulaire d’un M2 en sciences physiques, s’occupe du pôle maths, sciences et technologie.
Les élèves du dispositif ULIS font-ils la même chose que les autres ?
L’inclusion n’est pas conformité à une norme scolaire. L’objectif est que chaque élève progresse et entre dans les apprentissages en rapport avec certaines compétences attendues et certains points des programmes de leur classe de référence.
Il s’agit ainsi de trouver des supports variés avec des entrées perceptives adaptées à leur profil cognitif. C’est un véritable travail de recherche qui demande de l’observation, de la créativité et une réelle expertise.
Comment travailles-tu avec les professeurs de la classe des élèves du dispositif ULIS ?
Je suis en relation avec les équipes pédagogiques pour faciliter les inclusions. Pour initier le travail d’équipe, des réunions hebdomadaires sont organisées.
En début d’année scolaire, il s’agit de présenter chaque l’élève et son parcours, de trouver des points d’appuis pour l’engager dans des processus cognitifs et de penser des aménagements à mettre en place : réduction de la trace écrite, aide à l’écriture, évaluation positive, évaluation orale, valorisation des compétences sociales, artistiques, somatiques… L’idée est d’avoir une approche à la fois holistique et individualisée de l’élève en vue de sa scolarité inclusive. Certains collègues montrent les évaluations qu’ils comptent donner aux élèves de manière à ne pas les mettre en situation d’échec. L’AESHco a un rôle très important à jouer : stimuler, donner confiance, inviter à essayer de faire en cours et lors les évaluations.
L’autre travail que l’on mène parfois est de rencontrer les familles avec le professeur principal de la classe. On montre ainsi collectivement notre envie de faire progresser le jeune et de le considérer comme un élève à part entière du collège.
Echangez-vous en dehors de ces réunions ?
Les échanges avec les professeurs de la classe sont aussi informels, ils ont lieu à la récréation, aux intercours. L’ENT est aussi un moyen de communiquer. Certains collègues envoient leurs cours, ce qui permet d’anticiper et de préparer les élèves du dispositif ULIS. En français, les choses se construisent souvent au sein de la classe avec les élèves, ce qui demande plutôt de faire de la reprise de cours.
Pratiques-tu la co-intervention ?
La co-intervention n’est pas encore d’usage dans mon établissement. Il m’arrive d’aller dans la classe d’un élève le jour de la rentrée. Ensuite, je ne peux plus faire d’observation dans sa classe car je n’ai pas de plage horaire vide dans mon emploi du temps, tous les temps étant occupés par des cours dispensés aux élèves qui ne sont pas en inclusion. C’est en fait souvent l’AESHco qui fait des retours sur la manière dont ça se passe. Parfois les enseignants. Parfois les élèves aussi. L’idéal serait de faire du co-enseignement qui est un travail de partage de responsabilités pédagogiques et éducatives.
Et avec l’équipe de direction de ton collège ?
Un dispositif ULIS est porté par l’ensemble de la communauté éducative. L’équipe de direction joue un rôle important. Elle est garante du cadre légal de l’école inclusive, elle valide les inclusions et les emplois du temps des élèves. Cela nécessite un certain doigté.
Quels partenariats avec les structures de soins extérieures ?
Les jeunes ont des prises en charge extérieures faites par un centre de soin ou des professionnels en libéral. En tant qu’enseignante coordonnatrice ULIS, je souhaite plus de travail partenarial. Il me paraît nécessaire d’avoir des retours et des échanges plus réguliers, mais ce n’est pas facile à mettre en place. Pourquoi ne pas envisager des prises en charge au sein des établissements scolaires ? Cela permettrait sans doute une meilleure articulation entre le soin et l’éducation. Actuellement, on a l’impression de structures qui fonctionnent de manière séparée. Il faudrait plus agir en synergie dans l’intérêt du jeune en situation de handicap.
Et avec les familles ?
Je cherche une alliance éducative avec elles. Cela passe par une communication régulière par mails et par téléphone, par des rencontres informelles ou dans le cadre d’entretiens. Il s’agit parfois de communiquer sur les codes de l’école que certaines familles ne possèdent pas encore, n’ayant pas elles-mêmes eu une scolarité en France. Il s’agit parfois d’expliquer ce qu’est un dispositif ULIS et de faire comprendre et accepter ce qu’implique le parcours d’un élève ayant une notification de troubles des fonctions cognitives. Je considère aussi que j’ai beaucoup à apprendre des parents qui connaissent leur enfant et ses capacités. L’idée est d’essayer de co-construire un parcours dans l’espace scolaire en vue d’une orientation après la troisième.
Quelle orientation pour ces élèves après le collège ?
Certains élèves vont en lycée professionnel pour faire un CAP. Ils pourront obtenir, à défaut d’un diplôme, une validation d’acquis. D’autres vont en IMPro (Institut médico-professionnel). L’école inclusive demanderait de ne pas fermer trop de portes. Mais le système éducatif français laisse peu de place à ces élèves hors normes tant le « niveau scolaire » est primordial pour obtenir une classe, une filière. Les élèves des dispositifs inclusifs ont souvent des compétences qui ne sont pas valorisées dans les parcours scolaires ; elles leur serviront pourtant dans leur vie professionnelle.
Beaucoup pensent que l’inclusion ne peut se faire sans la présence d’une AESH. Qu’en penses-tu ?
L’AESH permet au jeune de rester attentif et de répondre aux attentes de l’enseignant sans pour autant faire écran à la relation pédagogique. Les élèves peuvent faire sans leur accompagnement. En dispositif ULIS, il n’y a pas le choix car l’AESHco partage son temps entre les élèves. Ainsi, on a proposé du tutorat entre pairs quand l’AESH n’est pas là. Il arrive d’ailleurs que certains élèves refusent la présence de l’AESH. A l’adolescence, ils ont envie d’être comme les autres.
Le rôle des AESH reste toutefois primordial dans les classe surchargées. Dans un groupe de 30, il est difficile de prendre seul en compte la diversité des élèves. La France a fait le choix de multiplier les AESH pour scolariser les élèves en situation de handicap, mais en ne reconnaissant pas vraiment leur travail. Il y a donc beaucoup de choses à faire de ce côté, sur le plan syndical.
Que faudrait-il selon toi pour mieux reconnaître ton métier ?
Pour moi, un enseignant coordonnateur ULIS devrait être davantage reconnu pour ses habiletés inclusives. Nous sommes des spécialistes de l’accessibilisation des apprentissages, de la différenciation pédagogique, du co-enseignement. Cette reconnaissance doit venir de l’institution et des équipes.
Aujourd’hui, on multiplie les dispositifs inclusifs mais on ne fait pas assez confiance aux enseignants coordonnateurs ULIS. Une de nos fonctions est d’être personne ressource sur le terrain de notre établissement ; mais on fait rarement appel à nous. Dommage ! Notre métier est complexe et demande des savoir faire multiples : sens du relationnel et du travail en équipe, flexibilité, diplomatie.
Reconnaître notre investissement et notre professionnalisme en faveur de l’école inclusive est urgent.
Notre réalité professionnelle quotidienne au collège, c’est le contact avec des adolescents et des adolescentes en souffrance. On est parfois confronté à des situations de conflit, de violence. La pénibilité et le peu de reconnaissance font que ce n’est pas tenable sur la durée. J’aime pourtant ce métier pour les adaptations constantes qu’il demande, pour sa diversité entre les situations d’enseignement et le travail de coordination. Ce temps de coordination est sous estimé. La prime de 147 euros par mois, dite prime SEGPA, ne suffit pas. Reconnaître notre investissement et notre professionnalisme en faveur de l’école inclusive est urgent.
Pour en savoir plus sur le travail d’Evelyne Clavier en dispositif ULIS : Danser les apprentissages – Les cahiers pédagogiques