« L’école maternelle que nous voulons »

Le collectif composé de mouvements pédagogiques et d’éducation populaire, syndicats, associations ou collectifs de métiers qui s'est créé suite au Forum de l'école maternelle de 2018, propose une brochure de 8 pages, pour porter des valeurs et des convictions communes sur l’école maternelle.

Les personnels, les parents et les associations qui constituent la communauté éducative, grands absents des assises ministérielles de mars 2018 ont créé un collectif pour organiser quelques mois plus tard, le 17 novembre 2018, le « Forum de l’école maternelle par celles et ceux qui la font vivre ».

Depuis, le groupe, composé de mouvements pédagogiques et d’éducation populaire, syndicats, dont le Sgen-CFDT, associations ou collectifs de métiers, continue de travailler sur les problématiques et les enjeux de l’école maternelle et publie une brochure commune.

Complémentaires dans nos approches, nous avons fait de nos différences une force pour porter des valeurs et des convictions communes sur l’école maternelle que nous voulons, une école première et primordiale, démocratique et émancipatrice, une école pour tous et toutes.

Une autre ambition pour la maternelle

Le collectif renouvelle ses exigences : des finalités éducatives qui embrassent toutes les dimensions du développement des jeunes élèves, la cohérence des continuités éducatives et des collaborations inter-métiers dans le respect des prérogatives de chacun, l’amélioration significative des conditions de scolarisation au sein du service public d’éducation (effectifs, locaux), l’attribution d’autant de postes d’ATSEM que de classes et le déploiement d’une formation adaptée, sans spécialisation ni minoration de l’enseignement en maternelle.

Toutes et tous sont capables d’apprendre et de progresser. Pour relever le défi de la réussite de tous les élèves, le débat mérite d’être mené en accordant du crédit à la communauté éducative et non pas en élaborant des projets opaques, comme le fait le ministère.

Lire le communiqué commun de mai 2019 bit.ly/rdvministere

Instruction obligatoire à 3 ans, et après ?

L’abaissement de l’âge de l’instruction obligatoire a comme ambition affichée la réduction des inégalités scolaires même si 97 % d’une classe d’âge fréquente déjà la petite section. En conséquence, les mairies sont contraintes de financer les écoles maternelles privées, au risque d’aggraver le déficit
d’investissement dans une maternelle publique en sureffectifs, manque de locaux et de matériels adaptés.

Enfin l’obligation d’assiduité appliquée de manière rigide peut avoir un impact négatif sur la réussite de la première scolarisation alors que la maternelle se caractérise jusqu’à aujourd’hui par ses capacités d’adaptation aux besoins et aux rythmes du jeune élève dans un lien consolidé avec les familles. Dans le même temps, le nombre d’enfants de moins de trois ans scolarisés n’a cessé de baisser depuis les années 2000 et les taux de scolarisation sont bien différents selon les territoires.

Appliquer les « bonnes pratiques » prescrites dans les guides ministériels ?

Ou faire confiance à l’expertise des enseignants… Notre choix est fait !
Alors que des « recommandations pédagogiques » sont déjà parues en mai, deux nouveaux guides ont été publiés en septembre. Certaines de leurs affirmations et préconisations manquent de cohérence et ne sont pas conformes aux programmes de 2015, qui restent la seule référence.

« Les mots de la maternelle »

L’école maternelle est réaffirmée comme étant l’école du langage. Cependant, alors que selon nous, la priorité de son apprentissage, doit être d’accompagner la construction de la pensée des enfants, les « conseils » préconisent le travail des mots nouveaux « dans des contextes variés » pour structurer leur emploi et les mémoriser dans un but strict d’enrichissement du vocabulaire. Réduire l’apprentissage du langage à l’accumulation de mots hors de contextes ayant du sens pour les élèves, ne saurait faciliter l’acquisition d’un oral ni pour communiquer ni pour penser. Par ailleurs, il est précisé que l’enfant apprend à parler principalement dans des échanges individuels et fréquents avec l’adulte, ce qui est un vrai défi dans des classes à effectifs chargés.

« Se préparer à apprendre à lire et à écrire »

Le titre induit en lui-même que le pilotage par l’amont est de règle pour les apprentissages ; l’école maternelle devient le lieu « propédeutique » à l’enseignement de la lecture au CP. Ce « guide pour l’enseignement de la phonologie, du principe alphabétique et de l’écriture » se centre sur des compétences « techniques » qui font l’impasse sur l’enseignement de la compréhension de textes authentiques donc complexes, faisant travailler
conjointement toutes les compétences requises.

La phonologie est présentée comme une composante de l’activité langagière au même titre que l’oral et le vocabulaire, alors qu’elle ne joue qu’un rôle secondaire dans l’apprentissage du langage.

Par ailleurs, son apprentissage est traditionnellement travaillé et avec bonheur à travers des jeux de sonorités, rimes… plus adaptés aux possibilités de jeunes enfants qu’un entraînement intensif et répétitif tel que proposé par les protocoles « d’Agir pour l’école ». Jean-Emile Gombert l’a montré dans ses travaux développementaux sur l’émergence de la conscience phonologique.

Du pouvoir d’agir

Où en est-on aujourd’hui ?

Avec l’instruction obligatoire à 3 ans, l’existence-même de l’école maternelle n’est pas menacée mais nos inquiétudes demeurent, quand il y a des centaines de suppressions de postes en maternelle pour compenser le financement insuffisant des dédoublements en éducation prioritaire, quand des fusions d’écoles aboutissent à l’absorption d’écoles maternelles, quand la formation est en déshérence et surtout quand le pilotage institutionnel fait de la grande section une « classe préparatoire au CP ».

Nous avons encore des chantiers à conduire.

Parmi les pistes à creuser, deux nous semblent primordiales.

La scolarisation des moins de trois ans, valorisée par la recherche et l’OCDE comme un pilier de la réussite scolaire ne concerne plus que 11 % d’une classe d’âge. Un coup d’arrêt a été donné à la mise en place de dispositifs « Passerelles » entre les structures de la petite enfance et l’école maternelle.

Pourtant, un rapport de l’Inspection générale pointait en 2014 leur utilité.

Le « parcours des 1000 jours », mission confiée à Boris Cyrulnik, pose de nombreuses questions éthiques et laisse à penser que l’École ne peut rien à la fatalité sociale.

La nécessité de travailler en synergie avec les ATSEM, membres à part entière de la communauté éducative (décret de mars 2018), leur rôle majeur et l’intérêt de formations communes agents territoriaux-enseignants sont posés mais leur mission éducative auprès des enfants est
reléguée aux aspects relationnels et matériels. La collaboration ne se décrète pas, elle se construit au quotidien dans des cadres pensés à tous les échelons, du pilotage à la formation et à l’action sur le terrain, en outillant les professionnels et en leur donnant du temps.

La question de la co-éducation avec les familles doit être pensée avec celles-ci et permettre des relations constructives avec tous les parents, y compris ceux qui sont le plus éloignés de la culture scolaire.

Conclusion… ou perspectives

Le Collectif du Forum Maternelle affirme que les adultes qui travaillent dans l’école maternelle sont capables de concevoir, mettre en œuvre,
transmettre, créer dans l’exercice de leurs métiers. Parce que le monde est complexe et qu’il ne sert à rien de stigmatiser les travailleurs, « soigner
le travail » et le penser collectivement sont une urgente nécessité pour leur re-donner du pouvoir d’agir. Pour ne pas conclure définitivement car
« mettre le métier sur le métier » est un chantier toujours ouvert, et pour malgré tout clore cette brochure, laissons la parole finale à Yves Clot,
psychologue du travail : « Ce qu’on partage est moins intéressant que ce qu’on ne partage pas car c’est aux limites de ce qu’on sait faire ou de
ce qu’on sait dire ensemble, qu’on rencontre le réel pour de bon. C’est là aussi qu’on peut «prendre» le travail à cœur. ».

Pour en savoir plus :