Evaluations nationales, une enseignante témoigne

Alors que les évaluations nationales viennent de se terminer, le Sgen-CFDT, qui n'est toujours pas convaincu de leur efficacité, a souhaité donner à la parole à une enseignante qui le vit chaque année dans sa classe. l'occasion de faire un point et d'en dresser un bilan.

Pour le Sgen-CFDT, et comme il le dit depuis 2017, les évaluations nationales massées sont inutiles pour les enseignant.e.s mais aussi coûteuses en temps et en papier. Notre organisation syndicale a donc choisi de donner la parole au terrain en interviewant une enseignante en CP de 26 élèves d’une école de la région parisienne. Cette enseignante, reconnue pour sa recherche et sa production d’outils pédagogiques a choisi de rester anonyme.

Comment as-tu accueilli ces évaluations en 2018 lorsqu’elles ont été mises en place ?

Je ne leur ai pas réservé un bon accueil. D’abord, j’avais le sentiment qu’il y avait un manque de confiance avec ce que les enseignants font sur le terrain. Enfin, en les regardant, il y avait des Items aberrants.
J’avais le sentiment de mettre mes élèves en échec, donc j’ai choisi de ne faire passer que quelques séquences.
Je n’étais pas la seule à procéder de la sorte, que ce soit sur l’école, dans la circonscription (ou en France !) : l’Ien a envoyé un petit mail, après les passassions, pour rappeler qu’il était important (et de notre devoir) de tout faire passer…

Et 5 ans après ?

Aujourd’hui, je commence par dire à mes élèves : «Vous allez voir,  il y a des choses faciles, d’autres difficiles. Parfois, vous n’aurez même pas le temps de tout faire. Mais ce n’est pas grave : l’important, c’est ce que l’on va apprendre ensemble ».  Cela m’a permis de faire un pas de côté par rapport à ces évaluations nationales.

Du côté des items proposés, ces évaluations ont un peu évolué, en collant plus à la réalité du terrain. Les Items de compréhension sont bien faits, même si certains sont franchement piégeux….

La compréhension orale est intéressante pour cibler les enfants en difficulté tout comme le travail phonologique sur les lettres d’attaque. Pour les maths, je trouve que les items autour de l’écriture des chiffres (voir s’ils savent les reconnaître, les écrire, et dans le bon sens) sont pertinents.

Il en va de même avec les exercices de dénombrement. Le travail sur les règles graduées me semble plus logique en début de CP que ce qui était proposé auparavant.
En CE1, le texte de fluence a également changé. Certains exercices de mathématiques étaient complexes (il y avait une double page pleine de caractères, qui entraînait un certain fouillis), mais ils ont été supprimés.

Que penses-tu de leur utilisation pour toi en tant qu’enseignante ?

Il y a des choses qui se modulent, qui permettent de se remettre en question.
Par contre, ces évaluations me sont quasiment toutes inutiles pour mettre en place des remédiations. C’est une photo des connaissances, des compétences acquises par nos élèves en ce début d’année scolaire et je m’en sers notamment pour cerner leurs capacités de compréhension, de connaissance phonologique et de numération.
Personnellement, je n’utilise pas le reste. Je ne mets plus en place d’évaluations diagnostiques, comme je pratiquais avant, ce serait bien trop lourd, je préfère maintenant me faire une idée au fil de l’eau.

Pratiquement, je trouve que ces évaluations de septembre arrivent bien trop tôt : on a chaque année des élèves qui reviennent plusieurs jours après la rentrée, d’autres qui n’ont absolument pas ouvert un livre de l’été…Ils auraient besoin de plus de temps pour se « remettre en route »…

Est-ce une perte de temps ?

Je dirais : oui et non. Je n’en ai pas besoin comme tel mais si ces évaluations n’existaient pas, j’en ferai à minima de toute façon. Si on y trouve des choses intéressantes, cela s’avère exploitable.

Les utilisez-vous au sein de l’équipe pédagogique ? Permettent-elles d’aider à la construction du parcours de l’élève ?

En conseil de cycle, on fait un bilan des évaluations CP et CE1 avec les enseignants de CE2.
On regarde les choses à travailler et ce qui semblait acquis. Par exemple, sur la fluence, on a décidé de retravailler la programmation de cycle pour que les élèves soient plus efficaces. Idem pour les maths.

Utilisez-vous ces évaluations lors des formations de circonscription ?

Les IEN les utilisent peu. Dans le cadre du plan maths par exemple, même pas du tout. Dans les formations en constellations, le choix étant imposé, les évaluations ne sont pas évoquées.

Ces évaluations nationales permettent-elles un dialogue supplémentaire avec les familles ?

Pas plus, car on n’attend pas de les avoir passées pour prendre un rendez-vous avec elles en début d’année. Les évaluations prévoient pourtant une logique de rendez-vous avec chaque famille. Personnellement, je ne le fais pas avec toutes les familles.
Je cible celles dont les enfants sont en difficultés.
Pour ceux qui sont en réussite, cela ne me semble pas nécessaire. Cette logique de rendez-vous systématique est très chronophage notamment pour des évaluations non choisies. Je préfère de mon côté tous les recevoir au moment de la remise du livret fin janvier, ce qui me permet de faire un bilan à la moitié de l’année scolaire.

Le dispositif prévoit une décharge de 5 h d’APC, est-ce suffisant ?

Ce qui me gêne, c’est que c’est un temps devant élève qui est enlevé.
Au début, je devais y passer plus de 7 heures, un travail qui venait en plus de mon travail de classe. Avec l’habitude, on gagne en efficacité. Tout comme les élèves, on adopte des stratégies de saisie pour gagner du temps.
Clairement, on pourrait consacrer ce temps à autre chose. Il faudrait que cela se fasse sur tablette, même si je suis consciente que les élèves devraient alors bénéficier d’un entraînement pour mieux maîtriser l’outil. On ne nous demande pas de réfléchir sur ces saisies de passassions : c’est auto-correctif, et les élèves sont automatiquement triés en groupes de besoins : nous ne sommes en l’occurrence que des robots exécutants !

Que pensent tes élèves de ces évaluations ?

Certains, les très scolaires, sont contents, cela les rassure. D’autres sont plutôt contents des exercices proposés. Pour d’autres enfin, c’est trop difficile.
Le temps est souvent trop court pour un exercice, ce qui entraîne une certaine frustration. Ils me disent que ce n’est pas marrant d’être chronométré. Globalement, ils ne les perçoivent pas trop mal.

Au final, que penses-tu de ces évaluations ?

Elles permettent un aperçu du profil de l’élève. Mais je les trouve parfois trompeuses, car certains élèves basculent vite dans la catégorie « fragiles », ou « à besoin », alors qu’il n’en est rien dans les faits ! Ils n’avaient juste pas assez de temps, ou peur de réaliser la tâche…

J’ai aussi peur qu’à terme, elles puissent servir à effectuer des comparaisons entre écoles.
Par exemple, on nous renvoie à l’issue des passations, des résultats avec des graphiques par commune voire par école de la commune, dans quel but ? Attention donc à l’usage que l’on va leur donner. Cela pourrait amener à des comparatifs inter-écoles, et nuire à la mixité sociale, les familles choisissant en fonction de ces dits résultats.

Que revendiquerais-tu autour de ces évaluations ?

Tout d’abord, je réviserais la quantité d’Items qui évaluent une même compétence visée. En tant que professionnelle, on n’a pas besoin d’autant d’exercices de même ordre pour définir le niveau de l’élève. Ainsi, par exemple, sur l’exercice  « barrer le plus grand », il y a trop d’items.

Ensuite, il faudrait (enfin) avant tout faire confiance aux enseignants, aux personnels qui sont sur le terrain. Je veux bien être à l’écoute de pédagogues, de spécialistes mais cela ne peut se faire sans l’écoute de celles et ceux qui font, qui sont au quotidien face aux élèves.

Enfin, il me semble qu’il faudrait renforcer notre formation à l’apprentissage de l’écriture, de la compréhension, qui sont aujourd’hui inexistantes.
On parle beaucoup de maths en formation mais peu de français. Il me semble aussi important de pouvoir choisir nos animations pédagogiques et de sortir du tout maths – français.

Mieux écouter les besoins des collègues, mieux les accompagner, les soutenir, bref entrer dans un nouveau paradigme de fonctionnement de notre école…