Les PUG lancent une collection d'ouvrages illustrés pour "comprendre, accepter, inclure la différence dès le plus jeune âge". Viviane Huys, directrice de la collection, est à l'origine de l'initiative avec son livre : Hier, j'ai rencontré Martin. L'autisme d'Hector au quotidien.
adopter les méthodes de l’enseignement spécialisé pour les apprentissages en milieu ordinaire.
, dans un précédent entretien, nous avait sensibilisé à l’idée d’Avec Hier, j’ai rencontré Martin. L’autisme d’Hector au quotidien, elle signe aux Presses universitaires de Grenoble un livre destiné à la jeunesse. Ce premier livre, illustré par des dessins de Guillaume Leyssenot, inaugure une nouvelle collection intitulée « Ma différence »…
Comment est née la collection « Ma différence », et à quels besoins répond‑elle ?
Contrairement à d’autres maisons d’édition qui ont refusé le projet de livre, les Presses universitaires de Grenoble l’ont bien accueilli et ont même rapidement proposé qu’il soit le premier opus d’une collection qui s’adresserait aux enfants pour leur parler de nos différences, lesquelles ne concernent d’ailleurs pas que le handicap. Outre d’autres formes de handicaps, les prochains volumes évoqueront la différence culturelle, les différences sociales ou encore les modèles familiaux qui interrogent notre société contemporaine.
Faisant appel à la fois à l’identification et à la compréhension, la collection « Ma différence » présente aux enfants et aux adultes accompagnants (enseignants, parents, assistants de vie scolaire-AVS, accompagnants des élèves en situation de handicap-AESH…) des ouvrages illustrés ayant pour objectif de participer à la compréhension du handicap et de toutes les formes de différence dès le plus jeune âge.
En lui faisant percevoir les émotions ressenties par l’autre, elle permet à chaque enfant de voir ce qu’il y a, au-delà de la différence, de semblable entre lui et l’autre.
Centrée sur la vision de l’enfant « différent » par une singularité qui le distingue, elle le met, lui, ce qu’il est, ce qu’il ressent, au cœur du livre. Cette vision offre un point de vue sans jugement, permettant de partager pour comprendre, de favoriser l’empathie, la bienveillance, la compassion.
En lui faisant percevoir les émotions ressenties par l’autre, elle permet à chaque enfant de voir ce qu’il y a, au-delà de la différence, de semblable entre lui et l’autre.
Vous étiez intervenue dans Profession Éducation à l’occasion d’un dossier consacré à l’éducation inclusive. Pouvez-vous nous rappeler votre parcours ?
Je suis enseignante, chercheuse associée au laboratoire Médiation – Information – Communication – Art (Mica) de l’université Bordeaux-Montaigne et, depuis 2011, engagée auprès des enfants en situation de handicap psychique.
Mon expérience en tant qu’enseignante, puis coordinatrice pédagogique et, à partir de 2017, administratrice au sein de l’institut médico-éducatif Saint-Réal (Savoie), avait débouché sur le livre Enseignement et handicap, co-écrit avec Gladys Demazure. Comme je vous le disais alors, mon parcours se caractérise par le souci de ne jamais désolidariser la recherche de l’action sur le terrain. Dans cette perspective, les livres sont aussi pour moi des outils des ouvrages illustrés ayant pour objectif de participer à la compréhension du handicap et de toutes les formes de différence dès le plus jeune âge. pratiques » : ils doivent être au service de l’action.
Aujourd’hui, j’occupe un poste de coordination pédagogique au sein de l’Agence régionale pour l’intégration (ARI) des personnes en situation de handicap ou en difficulté, à Marseille. L’inclusion est au cœur de nos préoccupations, de notre action, mais c’est une réalité fragile, néanmoins, car les enfants « différents » interrogent nos capacités à accepter l’autre, le fait qu’il vienne déranger notre quotidien. Ces différences peuvent parfois mettre à mal nos certitudes, notamment dans ce que l’on pense être la seule façon d’accompagner le handicap. Le milieu dit « ordinaire » fait aujourd’hui l’expérience à plus grande échelle de l’accueil des enfants en situation de handicap et éprouve encore d’importantes difficultés dans l’adaptation des pratiques et de la mise en œuvre concrète de la loi.
Ces différences peuvent parfois mettre à mal nos certitudes, notamment dans ce que l’on pense être la seule façon d’accompagner le handicap.
Pourquoi un premier livre consacré à l’autisme ?
L’autisme, selon moi, constitue l’un des révélateurs de ce qui fait le cœur de nos missions, nous éducateurs, enseignants, soignants : l’approche pluridisciplinaire est la seule voie qui permette de rendre l’inclusion possible. Le secteur médico-social en a la prérogative mais, en partenaire actif de l’Éducation nationale, il devrait pouvoir, par porosité, diffuser et partager ses savoirs et savoir-faire avec le corps enseignant pour une prise en charge toujours plus complète et cohérente des enfants et jeunes handicapés.
Le livre est né de mon expérience en tant qu’enseignante et coordonnatrice pédagogique à l’IME Saint-Réal (cf. ci-dessus), au contact quotidien d’enfants présentant des troubles du spectre de l’autisme (TSA) dont les difficultés avaient nécessité que l’on aménage les temps d’apprentissage mais aussi la prise en charge des besoins particuliers liés aux troubles de la sensorialité qu’ils manifestent la plupart du temps.
j’ai d’abord pensé ce livre « visuellement »
Dédié à Mathis, l’un des enfants dont j’ai accompagné le parcours, j’ai d’abord pensé ce livre « visuellement » en réponse à des situations vécues avec lui et d’autres enfants, puis j’en ai imaginé de nouvelles. Ainsi ai-je conçu des scenarii le mieux à même de montrer la manière dont se manifeste l’autisme : le quotidien et son inscription dans des rituels pour contrer l’imprévisibilité ; la difficulté à vivre les changements ; le rapport aux autres et les difficultés de communication ; les réactions aux bruits, les contacts visuels complexes, la fatigabilité… Autant de traits autistiques que je souhaitais expliquer aux enfants.
comprendre l’autisme, c’est aussi mieux nous comprendre nous-mêmes.
Enfin, le livre entend montrer la singularité d’Hector, mais illustre aussi combien certains de ses traits de comportement font écho aux nôtres, même s’ils sont ici exacerbés. Autrement dit, comprendre l’autisme, c’est aussi mieux nous comprendre nous-mêmes.
Le choix d’un protagoniste est-il emblématique ?
Hector est un petit garçon et ce n’est effectivement pas un hasard car le diagnostic des TSA montre une prévalence de quatre garçons pour une fille présentant ces troubles neuro-développementaux. On évoquait le chiffre de un enfant avec autisme pour cent (1 %) ; ce ratio tend à se réduire avec 1 pour 80. Cela provient sans doute d’une augmentation du nombre de diagnostic. L’Inserm publie régulièrement les résultats de ce type d’enquêtes…
En réalité, les formes de l’autisme sont variables et résultent aussi des interactions entre les personnes et leur environnement. Aujourd’hui, les dépistages sont effectués de façon plus précoce car les signes interviennent souvent entre 18 et 36 mois, au moment de l’acquisition du langage et du développement de la socialisation. L’absence d’attention conjointe constitue également l’un des points importants du repérage des TSA.
Les enfants avec autisme sont accueillis à l’école souvent accompagnés d’un·e assistant·e de vie scolaire (AVS) ou d’un·e accompagnant·e d’élèves en situation de handicap (AESH). Mais il faut savoir que souvent, les TSA conduisent, et ce malgré la dynamique inclusive fortement engagée aujourd’hui, à freiner la durée de la scolarisation. Un accueil à temps partiel est parfois proposé et si une scolarité ordinaire parvient à être maintenue, l’entrée au collège peut devenir un frein, et on dénombre bien moins d’adolescents avec TSA scolarisés en lycée. Dans l’enseignement supérieur, la visibilité des personnes avec autisme est bien plus difficile.
Dans son rapport sur le devenir professionnel des personnes autistes (2017), Josef Schovanec a émis l’hypothèse très intéressante qu’il pourrait y avoir un nombre élevé de personnes SDF avec autisme : ruptures sociales, difficultés de communication, isolement, comportements atypiques… autant d’indices légitimant cette hypothèse. Il est plus difficile pour une personne autiste de trouver sa place dans notre société normative que pour un neurotypique !
À qui le livre s’adresse-t-il ?
Il est destiné aux enfants en âge d’écouter une histoire, à partir de 2 ou 3 ans, et présente encore un certain intérêt didactique pour les enfants de 10 ou 11 ans.
Nous avons travaillé sur la complémentarité de l’iconique et du verbal.
Mais il existe plusieurs niveaux de lecture, et des degrés de complexification sont possibles : en rouge, apparaissent les indices qui permettent d’interroger, avec l’enfant, ce qui se passe dans l’image que le texte ne dit pas. Nous avons travaillé sur la complémentarité de l’iconique et du verbal. Ainsi, les éléments rouges pointent les objets ou personnes qui captent l’attention d’Hector ou signalent les enjeux relationnels, sensoriels ou réactionnels qui sont décrits par l’illustration. De plus, les commentaires explicatifs placés en regard de chaque dessin et de sa légende éclairent la lecture, cette fois, de l’adulte médiateur qui y trouve matière pour répondre aux interrogations des enfants…
Hier, j’ai rencontré Martin. L’autisme d’Hector au quotidien, par Viviane Huys, avec des illustrations de Guillaume Leyssenot, Presses universitaires de Grenoble, janvier 2020.