En 1937, les fondateurs du Sgen-CFDT avaient pour idée-force l’unité de l’École et donc des enseignants qui devaient être liés aux autres travailleurs, et notamment aux autres personnels de l’éducation. D’où le choix du syndicalisme général et confédéré. La réflexion sur le métier enseignant s’est approfondie au fil des décennies, notamment quant aux liens entre les enjeux pédagogiques et sociaux. 80 ans plus tard, dans un contexte où l’institution scolaire est remise en question, que signifient, pour le Sgen-CFDT, enseigner et former ?
Dossier initialement publié dans Profession Éducation – le mensuel de la Fédération Sgen-CFDT n°258 – Janvier 2018.
Clés de compréhension
- Une professsionnalité qui s'apprend et évolue...
- Un coeur de métier pluriel qui ne se réduit pas à la transmission des savoirs...
- Des pratiques et des conditions de travail insuffisamment reconnues...
- Des temps et des espaces de travail qui doivent être repensés...
A LA RENTRÉE 2015, il y avait, d’après les différents bilans sociaux du ministère, 879 500 enseignants dans l’enseignement scolaire (dont 44,7 % dans le premier degré et 55,3 % dans le second), 56 884 enseignants-chercheurs et 13 389 personnels des premier et second degrés exerçant dans l’enseignement supérieur.
En ajoutant les 13 668 enseignants de l’enseignement agricole public et les 2 000 professeurs de sport de la Jeunesse et des Sports, c’est près d’un million de personnels qui exercent ce métier. Face à l’énormité d’un tel chiffre, le corps unique de la maternelle à l’université, revendication historique du Sgen-CFDT, fait-il encore sens, ou n’est-ce plus que de « vieilles lunes » ?
LA PROFESSIONNALITÉ ENSEIGNANTE
Force est de constater que ce qu’écrivait un militant du Sgen-CFDT sur le sujet en 2014 n’a pas pris une ride : « Enseigner en milieu rural ou en banlieue (entendez Neuilly ou Vaulx-en-Velin), ce n’est pas la même chose. Enseigner en classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) ou être en complément de service sur un collège et un lycée, ce n’est pas pareil. Enseigner dans une classe unique ou en petite section, ce n’est pas pareil.
Le corps unique n’est pas un Frankenstein (sic) qui dévorerait tout crus de malheureux enseignants soumis à l’arbitraire de l’administration qui enverrait des professeurs de lycée professionnel (PLP) indus’ dans les CPGE ou des agrégés de philo en petite section. »
Une professionnalité enseignante qui s’apprend…
« Le corps unique, c’est peut-être la fin du syndicalisme corporatiste ou du syndicalisme de la peur, mais ce n’est pas l’abolition de toute différence entre enseignants ». Ce n’est pas non plus une revendication pour le court ou le moyen terme. C’est par contre une boussole qui garde tout son sens pour une action syndicale dans l’intérêt des personnels.
D’abord parce que pour le Sgen-CFDT, il existe une professionnalité enseignante qui s’apprend.
Elle se traduit d’ailleurs par la définition d’un lieu unique de formation des enseignants de la maternelle à l’université : l’école supérieure du professorat et de l’éducation (Espé). Pour l’enseignement scolaire, le rétablissement d’une formation initiale au niveau master fondée sur le principe d’une alternance de cours à l’université et de stages en établissements scolaires est censé contribuer à une meilleure articulation entre connaissances disciplinaires, savoirs didactiques et pédagogiques, et compétences professionnelles défi nies dans le référentiel de 2013.
Des améliorations nécessaires…
Pour le Sgen-CFDT, des améliorations sont nécessaires, notamment pour permettre un continuum de formation, de la licence aux premières années d’enseignement, et ainsi mieux répondre aux exigences et à la variété de modalités d’exercice du métier d’enseignant. Un premier pas a été également franchi dans l’enseignement supérieur avec le décret publié le 9 mai 2017, issu des discussions menées dans le cadre de l’agenda social, qui institue pour les maitres de conférences stagiaires une formation obligatoire initiale de trente-deux heures « visant à l’approfondissement des compétences pédagogiques nécessaires à l’exercice du métier ».
Pour aller plus loin :
UNE NOUVELLE SOCIÉTÉ APPRENANTE
Cette professionnalité enseignante est confrontée à tous les niveaux aux bouleversements engendrés par la révolution numérique et par le passage à une société apprenante qui changent les modes d’accès aux savoirs.
L’École ne peut plus se contenter de simplement transmettre les savoirs aux seuls élèves qui ont acquis les compétences et connaissances nécessaires pour progresser. Puisqu’il s’agit de les aider à trier des flux continus d’informations, à se forger les outils indispensables pour aborder et s’approprier des savoirs complexes, les heures de face-à-face classe/professeur ne suffisent plus : il faut donner du temps à un travail personnel ou en petits groupes encadrés.
Pour aller plus loin :
Pour le Sgen-CFDT, il s’agit de mieux répondre aux exigences et à la variété de modalités d’exercice du métier.
Les besoins en matière d’organisation du travail s’en trouvent modifiés pour ce qui concerne aussi bien la gestion matérielle (organisation des classes, mobilier…) que les méthodes (travail en équipe avec relations interpersonnelles, rôle de chacun…).
De plus, le passage d’une logique d’orientation par des voies prédéfinies à une logique de construction de parcours nécessite que l’élève bénéficie d’un accompagnement.
Il n’a plus seulement besoin d’information, mais d’une aide à la réflexion sur son travail et son projet. C’est tout l’enjeu des réformes en cours de l’accueil en premier cycle et du bac, et qui pourraient échouer faute de volonté politique. Cet encadrement, ou cet accompagnement, relève pleinement des missions de l’enseignant.
Pour aller plus loin :
QUELLE RECONNAISSANCE ?
Un premier pas a été franchi avec leur reconnaissance dans les nouveaux décrets de 2014 définissant le service des enseignants du second degré. Il reste maintenant à obtenir l’allègement du face-à-face élèves au profit de ces missions et à étendre ces avancées au premier degré, alors que dans l’enseignement supérieur, c’est la prise en compte des missions d’enseignement des enseignants-chercheurs qui est le chantier essentiel à mener.
Les différences évidentes qui existent, tant au niveau des pratiques que des modalités et conditions de travail, doivent être reconnues. C’est l’un des enjeux de la mise en oeuvre dans le champ de l’Éducation nationale et de l’enseignement agricole du protocole sur les Parcours professionnels, carrières et rémunérations (PPCR) avec la création de la classe exceptionnelle.
Ce sont en effet les fonctions exercées (direction d’école, REP+, post-bac, direction d’exploitation…) qui sont prises en compte pour y accéder. Si le Sgen-CFDT continue à revendiquer la reconnaissance des fonctions exercées en cours de carrière avec notamment des décharges horaires, il s’agit néanmoins d’une avancée essentielle.
Pour aller plus loin :
Enseigner : un même métier qui vaut une même reconnaissance
La réflexion sur le métier enseignant est consubstantielle au Sgen-CFDT et s’inscrit dans une cohérence constante. Ainsi, dès 1938, le Sgen-CFDT revendique à la fois le recrutement des élèves d’écoles normales au niveau du bac, la formation pédagogique des professeurs et la fin du recrutement d’auxiliaires, posant ainsi les premiers jalons d’une réflexion de long terme sur l’unité du métier enseignant qui va, sans les négliger, au-delà des seules revendications salariales, et bouscule ainsi les réflexes corporatistes.
Sur l’impératif de formation d’abord, avec la revendication d’une formation permanente dans les années 50, puis en 1966 le positionnement en faveur d’instituts universitaires de pédagogie (IUP) où seraient formés ensemble les instituteurs et les professeurs et, enfin, en 2016, l’idée selon laquelle «promouvoir nos métiers, c’est affirmer que nos missions ne peuvent s’accomplir sans une professionnalité s’appuyant sur les acquis des personnels et une formation adaptée».
Aussi le Sgen-CFDT a-t-il alors réitéré sa revendication d’une titularisation sans concours des contractuels sous condition de durée de services : «il n’est pas admissible que des contractuelles soient jugé·es dignes d’enseigner face à une classe comme non-titulaires mais indignes de devenir titulaires.»
Unité du métier ne signifie pas uniformité.
Enseigner, c’est un seul métier, mais dont les conditions d’exercice diffèrent, notamment selon les lieux, d’où les zones d’éducation prioritaires (ZEP) portées dès 1972 par le Sgen-CFDT car il faut donner plus à ceux qui ont moins mais aussi donner autrement, c’est-à-dire faire évoluer le métier dans le sens du travail collectif et d’un nouveau type de rapport à l’établissement et aux élèves, autre constante du projet du Sgen-CFDT.
PROF, UN MÉTIER EN MAL DE RECONNAISSANCE
Pour le Sgen-CFDT, enseigner, ça s’apprend. Ce slogan peut paraitre poussiéreux ou incantatoire tant nous le portons depuis longtemps, mais il n’en est rien.
Il concerne aussi bien la formation initiale que la formation continue. Dans notre métier, le renouvèlement des pratiques, le développement professionnel se poursuivent tout au long de la carrière. Ce slogan proclame que nos formations académiques et disciplinaires, pour indispensables qu’elles sont, ne suffisent pas à faire une formation professionnelle complète.
Le coeur de notre métier est pluriel…
Le cœur de nos métiers est pluriel : maitrise des « contenus » de périmètres disciplinaires variables, ingénierie de formation et d’évaluation, connaissance des processus d’apprentissage, capacité à ajuster nos gestes professionnels (pour reprendre une expression chère à Dominique Bucheton) afin de permettre à nos élèves, étudiants et stagiaires d’acquérir au mieux connaissances et compétences, de développer leur capacité à travailler en équipe et avec d’autres professionnels…
Ces éléments sont complémentaires et ils font le commun des différents corps d’enseignement et de formation, par-delà la diversité des publics que nous formons. Nous exerçons le même métier, dans des contextes différents certes, mais avec des invariants.
La réduction si fréquente de notre travail à la transmission, souvent présentée comme descendante et transparente, de savoirs nous heurte.
Elle nous heurte parce qu’elle nourrit une dévaluation de notre travail. Elle nourrit notre infantilisation, la tentation pour certains décideurs de nous dicter ce que nous devons faire et comment, en niant notre expertise pédagogique et didactique. Elle justifie aussi l’absence de reconnaissance en termes d’organisation du travail, de rémunération et de carrière de tout ce qui sort du « face-à-face pédagogique ». Enfin, l’organisation actuelle de notre formation (initiale et continue) n’est pas adaptée à la réalité de nos besoins de formation.
Il faut du temps, et reconnaitre pleinement qu’il s’agit là encore de temps de travail. Cf. « Les gestes professionnels et le jeu des postures de l’enseignant dans la classe : un multi-agenda de préoccupations enchâssées ».