Éducation : les ministres passent, la CFDT persiste

Lundi 15 janvier 2024, les fédérations CFDT de l’Éducation ont rencontré en bilatérale la ministre de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports sur le périmètre Éducation nationale.

Lors de cette première audience de prise de contact avec Amélie Oudéa-Castéra dans sa responsabilité de ministre en charge de l’Éducation nationale, et comme c’est l’usage, il n’y a pas eu d’annonces fortes, ni de réponse précise et ferme aux analyses et revendications que nous avons portées.
Pour les deux fédérations CFDT de l’Éducation, Sgen et FEP, l’enjeu était de faire entendre la parole des personnels, de porter nos priorités revendicatives pour les personnels et pour l’amélioration du système éducatif.
La ministre sait désormais ce que nous attendons : que les conditions de travail, la rémunération de tous les agents progressent, et que notre système éducatif contribue davantage à l’égalité, en particulier via une politique volontariste et affirmée de mixité sociale partout.

Les regrets et les excuses de la ministre

La ministre a ouvert l’audience en présentant longuement ses regrets et ses excuses pour ses propos qui ont blessé les personnels de l’Éducation nationale en réponse à une question sur la scolarisation de ses enfants dans l’enseignement privé. Elle a affirmé son attachement à améliorer les conditions de réalisation du service d’éducation dans le pays.

Une ministre de la continuité en tous points

La ministre a redit, comme lors de la passation de pouvoir, les “trois piliers” de l’action qu’elle conduira, et qui s’inscrivent totalement dans la continuité de ce que le précédent ministre avait initié.

Les trois piliers sont :

  • l’exigence, et l’autorité des professeurs vis-à-vis de leurs élèves :
    avec des mesures déjà annoncées sur la suppression des correctifs académiques et le dernier mot aux personnels sur le redoublement. Des mesures qui sont loin pour nos deux fédérations de répondre aux enjeux professionnels majeurs pour les enseignant.e.s, c’est ce que nous avons dit à la ministre.
  • la “régénération” du métier d’enseignant :
    d’une part nous récusons le terme de “régénération” qui semble être désormais la sémantique de l’exécutif, d’autre part il s’agit en fait ici de parler de formation, de recrutement et de conditions de travail des enseignants, c’est donc uniquement la continuité des travaux lancés par le précédent ministre, chantiers qui prennent du retard avec le remaniement.
  • l’école de l’épanouissement républicain :
    derrière une formulation ampoulée, il s’agit en fait d’évoquer les questions de laïcité, de cohésion, d’engagement.

 

La CFDT alerte de nouveau sur la fragilité du système éducatif et l’épuisement des professionnels

En réponse à la ministre, le Sgen et la FEP ont d’abord souligné à quel point ses propos avaient heurté l’ensemble des personnels du système éducatif et montraient une méconnaissance des conditions de travail, de l’épuisement professionnel et de la fragilité du système éducatif.
Nous avons donc rappelé nos analyses sur ce que les difficultés de recrutement et l’accumulation des réformes faisaient au travail des agents.
Pour nos deux fédérations, sur la question des absences non remplacées, il faut d’abord affiner le regard sur les absences longues non remplacées et leur vraisemblable concentration dans les écoles et établissements les moins favorisés.

C’est donc une question majeure en termes d’égalité des chances et une question politique forte mais passée sous silence quand l’exécutif se concentre exclusivement sur les absences de courte durée.

Et dans le premier degré, l’absence de remplacement des enseignant.e.s assèche depuis plusieurs années leur accès à la formation continue hors des 18 heures annuelles.
Les départs en formation ne sont autorisés que si l’enseignant.e est remplacé.e et quand un.e enseignant.e est absent.e et non remplacé.e les élèves sont réparti.e.s dans les autres classes, au détriment des conditions de travail des personnels et d’apprentissage des élèves.
Nous avons de nouveau dénoncé l’intensification du travail et la dégradation des conditions de travail générées par la décision de Gabriel Attal de déployer la formation continue à terme à 100% en dehors du temps d’enseignement (retrouvez le courrier adressé au ministre le 18 septembre 2023).
La FEP-CFDT a par ailleurs rappelé à la ministre que l’enseignement privé est aussi concerné par des difficultés de recrutement et de remplacement, et que dans plusieurs établissements, les agents, souvent non titulaires, sont contraints d’assurer des remplacements sans toujours être rémunérés.
Nous avons aussi souligné que la multiplication des réformes pédagogiques accentuait l’intensification du travail et alimentait une perte de sens au travail : contradiction entre les différentes réformes, nécessité pour tous les personnels de revoir l’organisation des établissements, de leurs enseignements… Nous en avons profité pour rappeler nos désaccords de fond sur les annonces sur le choc des savoirs.

Le Sgen-CFDT a insisté aussi sur les conditions de travail très dégradées pour les personnels des services déconcentrés soumis à une charge de travail importante et à la sous-administration depuis des années.

Les courriers adressés aux précédents ministres ont été remis à la ministre et ses conseillers.

Les propositions du Sgen-CFDT et de la FEP-CFDT en matière de mixité sociale

Le Sgen-CFDT et la FEP-CFDT ont présenté à la ministre leurs propositions communes pour plus de mixité sociale dans l’ensemble des établissements scolaires publics et privés sous contrat.

Pour nos organisations, les enjeux de cohésion sociale ne se résoudront pas par un SNU fantasmé, mais par la mixité sociale au quotidien dans l’ensemble de la société et singulièrement dans le système scolaire dans la durée.

Nous lui avons remis les propositions que nous avions portées en conseil supérieur de l’éducation :ministre

  • déployer une politique éducative territorialisée, centrée autour de l’Éducation prioritaire, fondée sur l’inclusion scolaire, et une démarche volontariste visant à faire progresser la mixité sociale et l’hétérogénéité des publics dans tous les établissements
  • poursuivre les expérimentations de secteurs multi-collèges et les fermetures d’établissements ghettoïsés
  • moduler les dotations des établissements d’un bassin de formation, publics comme privés, en fonction de l’écart par rapport à l’IPS moyen du territoire. Un tel système de bonus-malus inciterait les établissements à la mixité sociale et contrebalancerait les effets patents de l’évitement scolaire.

Nous avons rappelé que c’est l’exécutif qui avait renoncé à des objectifs ambitieux en 2023 alors que la ségrégation sociale et l’évitement scolaire sont pour nous des enjeux démocratiques majeurs.

Retrouvez nos propositions sur la mixité sociale dans le système éducatif.

Les conditions de mise en œuvre de l’inclusion identifiée par la ministre comme un sujet majeur pour la CFDT dans l’éducation

Nos interventions régulières au cours des derniers mois sur la nécessité de donner aux personnels les moyens et un cadre pédagogique permettant une meilleure mise en œuvre de l’inclusion étaient connues de la ministre.
Nous lui avons remis la tribune CFDT de l’an dernier pour une politique interministérielle forte pour améliorer les conditions de l’inclusion aussi bien pour les personnels que pour les élèves.
Nous avons de nouveau eu confirmation que les organisations syndicales seraient désormais invitées au réunion du comité interministériel de l’école inclusive.
C’est une demande ancienne, Gabriel Attal, lors du CSAMEN du 21 décembre 2023 avait annoncé sa décision d’y inviter les représentants des personnels. Il était temps. Pour nos organisations, il va falloir que, rapidement, le ministère se donne les moyens d’améliorer les conditions d’emploi et de rémunération des AESH, et d’améliorer les moyens et le cadre bâtimentaire et pédagogique pour que les personnels de tous métiers qui concourent à l’inclusion puissent enfin le faire dans de bonnes conditions.

Il faut en finir avec une situation où de trop nombreux collègues sont en souffrance parce qu’ils et elles ont le sentiment de ne pouvoir que mal faire alors qu’ils et elles sont convaincues de l’intérêt du principe d’inclusion.

Retrouvez toutes nos publications sur l’école inclusive.

La laïcité des enseignements doit être protégée par le ministère autant dans le public que dans le privé

Le Sgen-CFDT et la FEP-CFDT ont rappelé que les personnels attendaient de leur ministre, de leur ministère qu’ils les protègent des attaques infondées, du profbashing, de l’éducation nationale bashing, et que c’est pour cela que ces propos ont tant blessé les personnels.
Nous avons aussi rappelé la nécessité de défendre la laïcité des enseignements et de l’École alors que se répètent et se multiplient des contestations des enseignements. Parfois des parents d’élèves, parfois des associations et partis politiques, radicalisés par une idéologie réactionnaire qu’elle soit politique ou se réclamant d’une religion, xénophobe, raciste et sexiste remettent par exemple en cause l’éducation à la sexualité, à l’égalité filles-garçons, à la tolérance.

Dans l’enseignement privé sous contrat ce sont parfois les directions qui prennent argument du caractère propre pour entraver la laïcité des enseignements. C’est inadmissible et c’est bien au ministère de faire respecter le cadre et de protéger les agents qui exercent dans l’enseignement privé et qui sont sous sa responsabilité.

Retrouvez le dossier laïcité de Profession Éducation, et nos articles sur la laïcité.

Les défauts de scolarisation d’enfants ne sont pas admissibles

Nous avons présenté nos attentes pour la scolarisation des enfants dont les familles sont à la rue ou mal logées, et des enfants étrangers nouvellement arrivés.
Si le ministre précédent a répondu à un courrier du Sgen-CFDT à ce sujet, nous estimons à ce stade que tout n’est pas encore mis en œuvre par l’État pour assurer la pleine scolarisation de tous les enfants sur le territoire national et pour leur assurer des conditions de vie digne.
Pour nos deux fédérations, cette question n’est pas marginale et nous attendons aussi des réponses et un dialogue loyal et constructif sur les propositions faites pour améliorer les conditions d’accueil à l’école de ces enfants en grande précarité de vie.

Retrouvez l’interview de Manuel Domergue, directeur des études à la Fondation Abbé Pierre.

La loi immigration, c’est non, et le ministère aura des responsabilités si elle était promulguée

Enfin, la FEP-CFDT et le Sgen-CFDT ont rappelé leur opposition, qui est celle de toute la CFDT, à la loi immigration.
Nous avons rappelé notre demande que la loi ne soit pas promulguée. Puis nous avons alerté la ministre sur le fait qu’en cas de promulgation, elle aurait des responsabilités vis-à-vis des élèves et vis-à-vis des personnels.

La remise en cause du droit du sol pour les enfants nés de parents étrangers va les mettre en risque à l’approche de la majorité s’ils ne font pas les démarches pour accéder à la nationalité française ou si l’arbitraire de l’appréciation de leur “assimilation à la communauté française” les en privait.

Qui les informera, qui les accompagnera ? Dans les années 1990, lorsque le droit du sol avait été remis en cause, les filles accédaient moins à la nationalité française que les garçons, c’est donc aussi un enjeu d’égalité filles-garçons.
Par ailleurs, la privation de certaines prestations sociales pour les étrangers en situation régulière présents depuis moins de 5 ans en France ou n’ayant pas encore 30 mois de travail déclaré va précariser des élèves, et des personnels contractuels de nationalité étrangère.
Le ministre précédent avait répondu au Sgen-CFDT lors du CSAMEN du 21 décembre 2023 qu’il faudrait abonder l’action sociale en faveur des personnels. Cela ne suffira sans doute pas, et l’État employeur se doit pour nos organisations de sécuriser ses agents à la fois en termes de prestations sociales et donc de conditions de vie, mais aussi en termes de situation administrative (renouvellement de leur carte de séjour et établissement d’une carte de séjour de longue durée).

A ce stade, nous n’avons pas eu de réponse de la ministre, mais nous avons pris date et nous exigerons des réponses à la hauteur des enjeux dans les semaines qui viennent.